Réflexion autour de la « Hijra »

Émigrer… S’exiler moralement et physiquement, est devenue le rêve de nombreux musulmans… Partir pour cette terre où l’on vivra mieux sa pratique religieuse, mais pas que, où l’on pourra profiter d’une opportunité d’emploi, avec le salaire qui va avec, le tout dans un pays ensoleillé pour profiter d’un climat agréable toute l’année, de la plage, des piscines… Vivre sa vie mais en mode halal. Profiter de ce que cette duniya, ce bas monde offre, tant que c’est estampillé, certifié, authentifié « permis » ou « licite ».

Les uns parlent de faire « la hijra », et lorsqu’on leur demande les raisons qui les animent, c’est finalement la volonté d’améliorer leur confort personnel et celui de leur famille, qui est mise en avant, tout en pratiquant plus librement sa religion : « Je voudrais vivre dans un pays où je ne me pose pas la question de savoir si tel ou tel produit est halal, où je peux faire mes cinq prières au travail sans me cacher, où mes enfants peuvent bénéficier d’études de qualité à la fois pour leur avenir et où ils apprendront la religion, etc. » peut-on lire sur le site de muslim expat. S’expatrier pour « trouver un équilibre, qualité de vie, travail et Islam ».

Les quelques lignes qui vont suivre, ne visent ni à persuader le lecteur de partir, ni à l’en dissuader, mais plutôt à susciter une réflexion, face à ce phénomène qui tend à prendre de l’ampleur au sein de la communauté musulmane française.

En Europe, mais plus particulièrement en France, l’appareil médiatique fabrique une idéologie pernicieuse islamophobe et raciste, légitimé par un pouvoir public qui cherche à subordonner politiquement l’Islam pour le contrôler sous prétexte de l’organiser et de l’éclairer. Et de façon assez régulière, l’Islam se retrouve au centre de l’attention médiatique, sur des thèmes divers et variés, essentialisant toute une partie des citoyens français. Ce climat politico-médiatique anti-musulman pousse de nombreux musulmans français, se sentant oppressés, à se tourner vers l’étranger et à rêver d’ailleurs.

D’un autre côté, les réseaux sociaux exercent une influence considérable sur le phénomène de l’expatriation au sein de la communauté musulmane. Lorsque influenceurs et influenceuses partagent leur lifestyle à l’autre bout du monde, ils contribuent ainsi à nourrir l’illusion que l’herbe serait plus verte ailleurs.

Alors, partir, serait-il la panacée pour les maux des musulmans français ?

Peut-on ainsi lier les problèmes des musulmans français, et de la communauté musulmane à l’espace ?

Notre relation à Allah relève-t-elle de la géographie ?

Pourquoi partir ? Pour quelle mission ? Et d’ailleurs quelle est notre mission ?

Ce désir profond de changer de lieu et de décor est-il sincèrement animé par une volonté d’améliorer sa relation avec Allah et d’accomplir sa vocation de musulman sur terre, ce pourquoi Allah nous a créé ? Ou est-ce une façon de suivre nos passions ?

Lorsque nous sommes habités par ce désir de partir, posons-nous les bonnes questions, qu’est-ce que je recherche ? Un bon poste ? Un style de vie ? Des restaurants halal et des piscines pour femmes ? Des écoles privées de haut standing pour mes enfants ? Une maison plus grande ? En bref, est-ce que je recherche un mode de vie basé sur le confort personnel et la distraction (en alliant bien sûr mes cinq prières par jour, c’est l’argument phare pour légitimer un départ) ou bien est-ce que je pars avec un projet et des actions concrètes qui me permettront de faire ce pour quoi Allah m’a créé et m’a mis sur cette terre. Et Allah dans Sa sagesse infinie, dans Sa connaissance infinie, m’a fait naitre en ce temps précis de l’Histoire et en ce lieu précis sur Terre, afin que j’accomplisse une mission. N’est-ce pas ?

Nous ne devons pas subir notre vie. Si nous subissons notre quotidien, que nous vivons en mode « automatique », que nous nous sentons inutile, que notre vie de tous les jours est vide de sens, alors changer d’espace, ne fera que déplacer le problème, et ce même si l’environnement vers lequel nous allons apparait plus éthique et plus proche culturellement. Le quotidien sera alors à nouveau subi, et la situation (sur le plan personnel) souvent se détériorera, car le risque est de suivre encore plus ses passions, de se perdre encore plus dans le confort, et de s’éloigner encore davantage de Son Créateur.

Un projet d’expatriation axé uniquement sur des considérations matérielles, financières, est un projet voué à l’échec. Ce type de projet ne génère rien de bon. L’expatrié tend à fréquenter les mêmes groupes que dans son pays d’origine, opte pour la même restauration, choisit les mêmes écoles. En fin de compte on ne profite pas de la culture du pays, les enfants n’apprennent pas à s’adapter à un nouvel environnement, on ne prend pas de risque, on n’apprend pas de nouvelles compétences, on se retrouve dans un projet de vie légitimé par notre propre confort et orienté sur notre personne, nos passions et l’amour de ce bas monde. On ne retire rien de l’expérience.

Et puis face aux difficultés du quotidien, la réponse est-elle de fuir ? Qu’en est-il de nos responsabilités ? De nos parents ? De nos proches ? De la société dans laquelle Allah nous a mis afin que nous lui soyons utile ? La réponse est-elle la désertion ?

Serions-nous donc condamnés à un choix cornélien entre partir, quitter la France, ou bien rester passifs, spectateurs, victimes même, des forces socio-politiques qui nous matent pour que nous restions bien à notre place… Ne serait-il pas temps de rechercher une autre voie, celle qui nous permet de renouer avec Le Message divin, qui nous permettrait à nouveau d’entrer dans l’Histoire, en changeant le monde là où l’on se trouve et à œuvrer pour le rendre meilleur ?

Revenons à l’essentiel. Si nous, musulmans, en France comme ailleurs, sommes dans cette mauvaise passe, c’est parce que nous sommes passés à côté de notre mission. Nous nous sommes éloignés de notre Seigneur et de Son Message.

Sortons de cette obsession de « l’ailleurs », et construisons ici, là où nous sommes. Et si nous décidons de partir, partons avec un vrai projet.

Notre boussole sur terre est le Coran et notre Prophète Muhammad ﷺ en était la personnification la plus parfaite. Si nous voulons émigrer, notre premier réflexe devrait être de nous intéresser à son émigration, de lire et de méditer ce geste afin d’en saisir les ressorts. Au-delà de se mettre à l’abri des persécutions des Qurayshites, l’émigration du Prophète Muhammad et de ses compagnons vers Médine, n’était-il pas un projet de société préparé et pensé ?

Sa Hijra a donné naissance à une cité, à un état, elle a été un point de départ civilisationnel qui rayonna sur le monde des siècles durant. Le départ de Muhammadﷺ , de sa ville natale, a été une étape stratégique dans sa mission prophétique. Et même si le choix de l’émigration et de la destination émanait d’une volonté divine, le Prophète ﷺ n’a pas ménagé sa réflexion pour autant, en tenant compte de nombreuses considérations stratégiques pour fonder une société éthique, juste et durable.

En suivant son modèle, et en sortant d’une vie centrée uniquement sur soi, sur sa spiritualité et sur son bien-être personnel, pour relever la tête et agir sur notre monde avec nos idées, nos paroles et nos actions, nous ressentirons bien moins le besoin urgent de faire nos valises et de partir.

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