« Nous, membres du conseil représentant la communauté juive de Palestine et le mouvement sioniste, nous nous sommes rassemblés ici, en ce jour où prend fin le mandat britannique et en vertu du droit naturel et historique du peuple juif et conformément à la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, nous proclamons la création d’un État juif en terre d’Israël. »
Le 14 mai 1948, au musée de Tel-Aviv, David Ben Gourion, président du Conseil national juif et futur premier ministre, prononce la déclaration d’indépendance d’Israël. L’aboutissement d’un projet né à la fin du XIXe siècle.
Dans le contexte actuel, il est indispensable de comprendre l’origine de ce qu’on nomme injustement le conflit « israélo-palestinien ».
Et pour saisir pleinement les évènements en cours, nous devons remonter un peu dans le temps, retracer les racines du conflit, explorer les évènements antérieurs qui ont contribué et mené à la situation que nous connaissons aujourd’hui. Nous vous proposons donc de plonger dans l’histoire de cette terre qui cristallise tant de tensions.
Avant d’entrer dans le coeur de l’histoire, nous rappelons au lecteur que Al-Quds (Jérusalem) est une terre sainte pour les trois religions monothéistes. Elle occupe donc une place importante dans l’imaginaire et les croyances de plusieurs religions et civilisations. Pour les musulmans, elle représente un idéal suprême bâti sur un fondement spirituel : le monothéisme absolu et son corollaire terrestre : la justice. Ces valeurs ont été incarnés, depuis des temps immémoriaux, par les rois-prophètes des fils d’Isra’îl, jusqu’aux califes bien guidés dont la riche histoire a déjà été traitée, en partie, dans notre série vidéo, 3 minutes d’histoire : Al Aqsa – partie 1
Mais revenons à l’histoire moderne, et plus précisément à la fin du 19 ème siècle, avec la naissance du sionisme.
Les origines de l’idée d’un état juif
Paris, le 5 janvier 1895, l’heure est grave. Le décor est solennel, dans la cour de l’École Militaire, baignée dans une atmosphère tendue, le capitaine Dreyfus est dégradé. Il est condamné au bagne à vie pour haute trahison et espionnage au profit de l’Allemagne. Issu de la haute bourgeoisie juive, Alfred Dreyfus, 35 ans, est pourtant parfaitement assimilé et prospère, mais le voilà qui se retrouve injustement accusé… Au milieu de la foule réunie à l’École militaire, un jeune journaliste hongrois, lui aussi juif, suit l’affaire avec attention. Il assiste, révolté, à la scène… Ce journaliste n’est autre que le jeune Theodor Herzl, un nom qui résonnera bientôt dans les annales du sionisme.
En Europe, la fin du XIXe siècle est marqué par la haine antisémite. En Russie tsariste, les oppressions et les pogroms déchirent la vie des juifs, les plongeant dans un abîme de terreur. Ce n’est que le prélude d’une vague de haine antisémite qui déferlera sur l’Europe centrale, nourrie de l’antijudaïsme chrétien traditionnel. L’antisémitisme gagne aussi du terrain en Europe de l’ouest, avec la montée des nationalismes et des extrêmes.
Durand l’affaire Dreyfus en France, Theodor Herzl , prend conscience de l’impasse dans laquelle se trouve la communauté israélite de la diaspora et il développe ainsi l’idéologie sioniste qu’il détaille dans son célèbre « l’état des juifs » , texte fondateur du sionisme, qu’il publie en 1896 et dans lequel il écrit : « La solution au problème juif, c’est la création d’un État juif ».
À ce stade, la doctrine sioniste est une doctrine nationaliste plutôt que religieuse. Theodor lui-même l’affirme : « je n’obéis pas à une impulsion religieuse » [1], se déclarant « agnostique » [1]. Ainsi, le sionisme, ne trouve pas son origine dans le judaïsme mais plutôt dans le nationalisme européen du XIXe siècle : « Je ne considère la question juive ni comme une question sociale, ni comme une question religieuse, […] C’est une question nationale, et, pour la résoudre, il nous faut, avant tout, en faire une question politique universelle, qui devra être réglée dans les conseils des peuples civilisés. » [2]
Theodor n’est d’ailleurs pas particulièrement attaché à la terre sainte de Palestine, et pour la poursuite de ses plans politiques et nationalistes, il propose sérieusement une implantation en Argentine (entre autres pays). Cependant face à l’opposition de ses proches de foi juive, il prend conscience de la « puissante légende » [1] que constitue Jérusalem, comme il le dit ; « La Palestine est notre inoubliable patrie historique. Ce nom seul serait un cri de ralliement puissamment empoignant pour notre peuple. » [2]
Du 29 au 31 août 1897, à Bâle, Theodor convoque le tout premier congrès sioniste et y expose sa doctrine politique, nationaliste et coloniale, prônant l’établissement d’un foyer national juif sur les terres de Palestine. Le Premier Congrès Sioniste adopte le Programme de Bâle déclarant : « Le sionisme vise à établir pour le Peuple juif une patrie en Palestine qui soit garantie par le droit public. »
Theodor écrira quelques jours plus tard dans son journal : « À Bâle, j’ai créé l’État juif. Si je disais cela aujourd’hui publiquement, tout le monde se moquerait de moi. Dans cinq ans peut-être, dans cinquante ans sûrement, tout le monde acquiescera. »
Les premières installations en Palestine
La région est pourtant bel et bien habitée et sous domination ottomane depuis le XVIe siècle.
En 1880, on recense 24 000 juifs en Palestine (principalement des religieux) au milieu d’une population de 482 000 habitants (ils représentent ainsi 4,4% de la population locale) [3]. Dans les années 1880-1890, le mouvement Hibbat Zion organise les premières émigrations juives vers la Palestine, avec près de 30 000 juifs russes, polonais, ou encore roumains [3].
En 1901, Theodor réitère sa demande d’achat des terres palestiniennes, au Calife ottoman Abdelhamid II, alors extrêmement endetté et sur le déclin, « Si Sa Majesté le Sultan nous cédait la Palestine, nous pourrions nous faire forts de régler complètement les finances de la Turquie… Nous formerions un État neutre, en rapports constants avec l’Europe qui garantirait notre existence… »
Le refus du calife est sans équivoque, Al Quds n’est pas à vendre :
« Conseillez au Dr Herzl, de ne pas prendre de nouvelles mesures sérieuses dans cette affaire. Je ne peux pas me défaire d’un seul pouce de la terre de Palestine… elle ne m’appartient pas mais appartient plutôt à la nation musulmane. Mon peuple a combattu pour cette terre et l’a fertilisée de son sang… que les juifs gardent leurs millions et si vraiment un jour le Califat viendrait à se disloquer, les juifs pourront alors prendre la Palestine pour rien… Mais tant que je suis en vie, il me serait plus aisé d’être désossé que de voir la Palestine coupée du Califat… et cela ne se produira pas. Je ne peux accepter que nos corps soient dissechés de notre vivant. »
Istanbul 1901, Sultan Abdelhamid II
Au début du XXe siècle, le Fond nationale juif, créé à Bâle en 1901, récolte des fonds pour l’achat de terres en Palestine. L’initiative suscite un engouement de la part de la diaspora juive du monde entier, et entraîne une nouvelle vague de colons sionistes, 35 à 40 000 migrants supplémentaires débarquent en Palestine [3]. Le rachat progressif des terres provoque des premières tensions avec les arabes, chrétiens et musulmans, qui vivent en Palestine depuis des siècles.
En 1914, le pays compte entre 60 000 et 90 000 juifs pour environ 800 000 habitants, soit 10% de la population locale [4]. Ces chiffres témoignent de l’impact croissant du sionisme sur la démographie de la Palestine, signalant les prémices des conflits à venir.
Le rôle décisif de la Grande-Bretagne
En 1914 , éclate dans toute sa fureur, la première guerre mondiale et l’Empire Ottoman se joint au conflit, rejoignant son vieil allié allemand, contre les puissances -France, Royaume-Uni, Russie, qui veulent démembrer ce qui reste de son empire.
Le 2 novembre 1917, en pleine guerre, le ministre des affaires étrangères anglais, Lord Arthur Balfour, adresse une lettre à l’un des leaders du mouvement sioniste au Royaume-Uni, Lord Walter Rothschild. Cette lettre déclare : « Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif. » Les Britanniques placent ainsi leurs pions dans l’optique de l’après-guerre : ils ont des vues sur les terres de l’Empire ottoman et notamment sur la Palestine qui leur offrirait une situation privilégiée dans la région, près du canal de Suez. Avec cette déclaration Balfour, la première puissance européenne légitime ainsi le sionisme en Palestine.
Après sa défaite, l’Empire ottoman sort très affaibli de la première guerre mondiale, et le 3 mars 1924, le califat est aboli, marquant la fin d’un cycle et le début d’une nouvelle ère politique pour la région.
Malgré les promesses d’indépendance faites aux arabes, la France et le Royaume-Uni, dans un contexte de domination coloniale, morcellent l’Empire Ottoman et le partagent en cinq zones d’influence, à leur profit. Les tristement célèbres accords Sykes-Picot, prévoyaient que la Palestine reste une zone internationale mais elle sera finalement cédée au Royaume-Uni au lieu d’être internationalisée.
Le 24 juillet 1922, lorsque la SDN (société des nations) octroie à la Grande-Bretagne un mandat sur la Palestine, l’article 2 précise que « le mandataire assumera la responsabilité d’instituer dans le pays un état de choses politique, administratif et économique de nature à assurer l’établissement du foyer national pour le peuple juif ». Il n’y est nullement fait mention d’un État arabe.
La Grande Bretagne fidèle à sa politique coloniale « divide and rule« , entretient ambiguïté et contradictions en favorisant par exemple, l’immigration juive et en introduisant l’hébreu dans les documents officiels d’un coté, tout en assurant la prééminence des musulmans au sein du conseil municipal de Jérusalem, de l’autre. Cette stratégie en demi-teinte qui consiste à satisfaire la population juive en lui permettant de poursuivre la colonisation, et de l’autre côté, ménager la population arabe en fixant des limites à l’entreprise sioniste, tournera bientôt au drame.
Dès lors, la population juive en Palestine augmente considérablement. En terre de Palestine, les colons sionistes s’organisent autour de l’Agence juive, et établissent leur propre armée, la Haganah, mais également une assemblée parlementaire, une université hébraïque, des institutions fiscales et financières et un réseau qui quadrille tout le pays : kibboutz, syndicats, écoles, associations culturelles, éducatives, sportives ou caritatives.
À la veille de la seconde guerre mondiale, les juifs représentent près d’un tiers des 2 millions d’habitants en Palestine [5]
Face à la colonisation, la résistance arabe
Le mouvement sioniste très laïque au départ, commence timidement à se doter d’un pendant religieux. Le précurseur de ce sionisme religieux est un certain Abraham Isaac Kook, une autorité en matière de loi juive. Sa vision aura, dans le monde juif, un impact considérable qui retentit jusqu’à nos jours. Il développe l’idée que les sionistes, bien qu’en majorité laïques, accomplissent involontairement le dessein divin en participant à l’avènement d’un État d’Israël. Pour lui, le rétablissement d’une souveraineté juive en Israël constitue le point de départ de la Rédemption du peuple juif, puisque celui-ci, en revenant vers la Terre promise par Dieu à son peuple, entame un mouvement qui le conduira vers l’Éternel Lui-même, à travers la venue du Messie. Ainsi une nouvelle mythologie spirituelle du retour à la terre promise se développe de plus en plus, auprès de colons qui ont grand besoin de s’attacher spirituellement à ce pays qui leur est fondamentalement étranger : le sionisme religieux ne cessera de monter en puissance au fil des décennies…
En attendant, les tensions augmentent entre les arabes menacés qui veulent conserver leur terre, et ces nouveaux migrants juifs qui veulent la leur extorquer, et ces tensions exploseront bientôt en bain de sang.
Plusieurs révoltes arabes explosent entre 1920 et 1939, mais la révolte de 1929, fait office de tournant dans les relations juifs-arabes : pendant plusieurs jours des émeutes incontrôlables éclatent dans la ville sainte, mais aussi à Hébron, Safed ou Jaffa. De part et d’autre l’on déplore des centaines de morts et de nombreux blessés. La commission Shaw, envoyée de Londres pour enquêter sur cette révolte, conclut que la tension « découle de la frustration des aspirations politiques et nationales des Arabes » et appelle, pour apaiser la situation, à limiter l’immigration sioniste.
Les britanniques n’en feront rien, pire l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler en Allemagne, et la montée du nazisme, encouragent davantage l’immigration juive en Palestine et radicalise encore un peu plus le mouvement sioniste.
Les musulmans sont alarmés par ce remplacement démographique qui se déroule sur leur terre et sous leurs yeux. Ils paient le prix de l’antisémitisme européen, alors même que les pays occidentaux, dont les États-Unis, ferment cruellement leurs portes aux réfugiés fuyant le nazisme. De plus, ces nouveaux arrivants en Palestine, ne viennent pas en paix, inspirés par les enseignements du rabbin Kook et des thèses ultra-nationalistes de Vladimir Jabotinsky, l’extrême droite sioniste se structure autour de la milice terroriste de l’Irgoun, qui organise la lutte armée contre les britanniques et des actions sanglantes contre les arabes, dans le but d’imposer un État juif « sur les rives du Jourdain ».
Côté musulman, un certain ‘Izz ad-Dîn al-Qassam, vétéran de la résistance syrienne face à l’occupation française, entame une campagne de résistance et après sa mort héroïque en 1936, une grande révolte arabe explose dont les exigences sont simples : la fin de l’immigration sioniste, l’interdiction des ventes de terre, l’indépendance à court terme du pays. Les autorités britanniques répriment l’insoumission musulmane mais les terroristes de l’Irgoun rentrent dans la partie et ajoutent un cran à l’horreur : attaques terroristes de lieux bondés, pose de mines et d’explosifs dans des marchés arabes ; même les officiers britanniques soupçonnés de « sympathie » avec les arabes ne sont pas épargnés.
Pendant la révolte arabe, en 1937, les autorités britanniques proposeront une partition du pays, et recommanderont la création de deux états : un état juif indépendant et un état arabe annexé à la Jordanie (Plan Peel), mais aucun compromis ne sera trouvé.
Attentats, émeutes, manifestations, la Palestine est à feu et à sang, quand en mars 1939 la grande révolte arabe est finalement matée : les factions arabes, divisées entre elles, cèdent sous la répression britannique qui a tué, blessé, torturé et exilé toutes les élites politiques ou toutes les personnes soupçonnées de soutien aux insurgés.
Contre toute attente, les britanniques promulguent tout de même un livre blanc qui revient sur la déclaration Balfour de 1917. Sûrement par crainte d’un nouveau soulèvement arabe généralisé, ou pour s’assurer du soutien des arabes durant la seconde guerre mondiale qui menace d’éclater à tout moment. Quoi qu’il en soit, ils limitent pour la première fois l’immigration juive en Palestine, et réglementent le transfert des terres arabes aux juifs. Ils promettent également l’indépendance de la Palestine aux arabes, un état au sein duquel juifs et musulmans vivraient ensemble. Pour les sionistes, c’est une amère désillusion qui entrainera de vives réactions et qui marquera leur rupture avec l’administration britannique. Le « livre blanc » provoque une première vague d’attentat anti-britanniques commis par l’Irgoun… Mais voilà qu’explose le conflit le plus meurtrier du XXe siècle, la seconde guerre mondiale…
Après la Shoah, la Terre promise pour les uns, la « Nakba » pour les autres
L’idéologie sioniste repose sur l’idée force d’un retour du peuple élu, sur la terre promise ; ainsi écrite dans la genèse (XV, 18-21) : « Le seigneur conclut une Alliance avec Abraham en ces termes : C’est à ta descendance que je donne ce pays, du fleuve d’Egypte au grand fleuve, le fleuve de l’Euphrate. »
À partir de là, sans se demander en quoi consiste l’Alliance, à qui a été faite la promesse, les dirigeants sionistes, qu’ils soient agnostiques, athées ou croyants, proclament que la Palestine leur a été donnée par Dieu.
Mais revenons en Palestine, où la tension monte à la fin de la seconde guerre mondiale. Les rescapés de la Shoah se tournent vers la Palestine, toujours sous mandat britannique. Le pays est plongé dans une escalade de terrorisme qui culmine en date du 22 juillet 1946, l’Irgoun attaque à l’explosif l’hôtel King David, où sont installés les bureaux du gouvernement britannique. L’attentat fait 91 morts.
Près de 50 000 candidats à l’immigration sont déboutés et lorsque le navire Exodus, arrive près des côtes palestiniennes, avec à son bord, 4 500 juifs rescapés de la Shoah, celui-ci est intercepté par les forces britanniques et acheminé vers Hambourg en Allemagne.
La Grande Bretagne est dépassée et ses commandants exaspérés par la tournure des évènements. Au point que le gouvernement britannique décide de confier son mandat sur la Palestine à la toute jeune organisation des Nations unies qui prend le relais, et vote le 29 novembre 1947, un plan de partition entre un état juif et un état arabe. Quant à Jérusalem et Bethléem elle seront placées en zone internationale administrée par les nations unies. Les dirigeants sionistes, pragmatiques, acceptent immédiatement tandis que pour les arabes, il est impossible d’accepter une solution qui les exproprie froidement de la moitié de leur patrie et les prive de leur ville sainte. Cette proposition hors sol ne verra jamais le jour et se sont désormais les armes qui parleront.
Les combats éclatent alors, entre d’un côté des organisations armées juives et de l’autre, des palestiniens arabes, soutenus par des volontaires provenant du monde arabo-musulman. Jérusalem est secoué par des attentats contre les quartiers arabes auxquels répondent des manifestations qui tournent à l’émeute. Le 9 avril 1948, la guerre civile prend une effroyable tournure avec le massacre de Deir Yassin, un petit village paisible à l’ouest de Jérusalem. L’Irgoun s’y livre à un « nettoyage », n’épargnant ni hommes, ni femmes, ni enfants, abattant toutes les personnes qui s’y trouvent. Les prisonniers seront également exécutés de sang froid.
Dans le pays c’est l’effroi, la population civile arabe est chassée sous les menaces des milices sionistes. Les palestiniens désarmés et effrayés par ce qui est arrivé à Deir Yassin quittent leur terre : c’est le début de l’exode palestinien, La Nakba ou « catastrophe ». Des milliers de palestiniens sont expulsés manu-militari ou poussé au départ par les menaces de massacre de masse qui leur seront faites.
Israël, un état construit dans la dévastation et les massacres
Le lendemain de la déclaration d’indépendance de l’état d’Israël, les troupes de plusieurs pays membres de la ligue arabe (Égypte, Irak, Jordanie, Syrie, Yémen) envahissent la Palestine. Les armées arabes prennent un temps le dessus, mais l’armée israélienne, soutenue militairement par la Russie, remportera cette guerre.
Israël lance entre juillet 1948 et mars 1949 une série d’opérations militaires, « le plan Daleth », prenant le contrôle de plus en plus de territoire pour atteindre 78% de terre annexée. Cette stratégie militaire élaborée par la Haganah, vise à détruire et dépeupler les agglomérations palestiniennes, à contrôler les frontières du nord avec la Syrie et le Liban, à contrôler également la côte et à vider les villages palestiniens entre Jérusalem et Jaffa.
Ce plan Daleth, composé de 13 opérations militaires, comprend notamment la destruction de villages : les incendier, les faire exploser, et y dissimuler des mines dans les ruines, en particulier dans les agglomérations difficiles à contrôler en permanence.
Côté palestiniens c’est l’horreur, ils sont des milliers à être tués, chassés de chez eux. Des communautés entières sont déracinés par des groupes paramilitaires juifs, dont certains membres deviendront d’importants dirigeants israéliens, tels que Yitzhak Rabin, Ariel Sharon ou encore Moshe Daya.
Des juifs sont également tués par des groupes palestiniens, même si le bilan n’est pas comparable. En effet, durant cette période, on estime à 15 000 le nombre de palestiniens tués, environ à 500 le nombre de villes et de villages ayant subi un nettoyage ethnique et à 700 le nombre de villes ou de villages qui passent sous contrôle israélien. C’est près de 17 000 km2 de terres palestiniennes qui sont alors confisquées. Près de 800 000 palestiniens sont déplacés. Seuls 150 000 palestiniens resteront au sein de ce qui est devenu en 1948 l’État d’Israël [6].
David Ben Gourion, alors premier ministre du jeune État, avec Yossef Weitz, directeur du département de la colonisation du fonds national juif (KKL) se concentrent depuis 1932 sur l’acquisition de terres. Yossef Weitz qui participe activement à la planification par l’exécutif sioniste du nettoyage ethnique de la Palestine « a établi une liste des villages pris, avec la superficie de leur terre et le nombre, et l’a minutieusement recopié dans son journal » « Le montant des sommes pillées dans les banques des Arabes » est évalué. « Tous les moyens devenaient légitimes, y compris détruire les maisons par le feu quand la dynamite manquait, ou incendier les champs et les vestiges du village palestinien qu’elles (les troupes israéliennes) avaient attaqué » [7].
Yossef Weitz écrit en avril 1948 : « J’ai la liste des villages arabes qu’il faut vider complètement pour compléter des régions juives. Et celle des lieux où il y a des conflits fonciers et qui doivent être colonisés par des moyens militaires. » [7] Il écrit également en août 1948 : « Il me semble que nous devrions préparer l’opinion publique à se pénétrer du fait qu’il n’y a plus de place pour leur retour, et qu’il y a pour eux une seule manière de sauver leurs biens : les vendre et utiliser l’argent pour s’installer ailleurs. » [7]
La programme politique coloniale d’Israël répond à une théorie très simple : prendre la terre et en chasser ses habitants, et la méthode employée est celle de la terreur. David Ben Gourion mènera d’une main de fer l’entreprise d’expulsion des arabes et de confiscation de leurs biens. Il dit par ailleurs très clairement ses intentions expansionnistes : « Il ne s’agit pas de maintenir le statut quo. Nous avons à créer un État dynamique, orienté vers l’expansion. » ; « La carte actuelle de la Palestine a été dessinée sous le mandat britannique. Le peuple juif possède une autre carte que les jeunes et les adultes doivent s’efforcer de mener à bien : celle du Nil à l’Euphrate » et son programme politique « Nous devons expulser les arabes et prendre leur place. »
En 1967, la guerre des six jours éclate. Israël attaque l’Egypte et à la suite d’un succès éclair dans le Sinaï, Israël contre-attaque la Jordanie, puis la Syrie sur le plateau du Golan. Après six jours de combat et une victoire fulgurante, Israël étend encore son territoire : la Cisjordanie, la péninsule du Sinaï, la bande de Gaza et le plateau du Golan sont occupés et Jérusalem qui était divisée entre Israël et la Jordanie depuis 1949, est réunifiée sous contrôle israélien. Le conseil de sécurité des nations unies réclamera bien la fin immédiate de l’occupation militaire mais cette résolution 242 (1967) de l’ONU reste ignorée jusqu’à ce jour.
La colonisation de la Cisjordanie débute après la guerre des six jours, une colonisation toujours considérée illégale, puisque pas moins de 11 résolutions de l’ONU rappelleront Israël à l’ordre mais en vain.
Face à l’occupant, les intifadas
Passé le choc et l’humiliation de la conquête militaire, les palestiniens tentent de relever la tête et de résister face à l’envahisseur.
En 1959, Yasser Arafat fonde le Fatah, et déclenche la lutte armée contre l’État israélien, en lançant des opérations de sabotage et de guérilla. L’organisation de Libération de la Palestine, l’OLP, est fondée en 1964. Se présentant comme une organisation politique et paramilitaire, elle réunit les principaux mouvements historiques du nationalisme laïque palestinien dont le Fatah.
Côté palestiniens, la colère monte contre les humiliations quotidiennes de l’occupation, et les provocations verbales de plusieurs ministres, qui appellent à l’expulsion de l’ensemble de la population arabe d’Israël. Les tensions se cristallisent et la première intifada éclate en décembre 1987 dans le camp de Jabalya et s’étend à l’ensemble de la Cisjordanie et de la bande de Gaza malgré l’état de siège. Aux grèves, manifestations, et affrontements par jets de pierre répond une répression féroce. L’ampleur de ce que l’on nomme également « la révolte des pierres« , dépasse tous les soulèvements précédents par sa durée de quatre années et son étendue sur l’ensemble des territoires occupés et Jérusalem.
Bénéficiant d’une couverture médiatique sans précédent cette première intifada fait connaitre la lutte palestinienne au plus grand nombre et brise l’image d’Israël promue par la propagande sioniste… Sous pression, Israël finit par accepter de négocier avec l’OLP, qui a reconnu son existence fin 1988. En effet l’organisation évolue au fil du temps et reconnait le droit d’Israël à vivre « en paix et sécurité » et déclare « renoncer totalement au terrorisme ». L’OLP sera dès lors reconnue officiellement comme représentant des palestiniens.
Des négociations secrètes sont donc menées sous l’égide des États-Unis et aboutissent aux accords d’Oslo, en 1993, et à la poignée de main « historique » entre Yitzhaq Rabin et Yasser Arafat, sous le regard de Bill Clinton. Mais tout ceci n’est qu’un triste leurre, les belles promesses n’aboutiront pas, pire la colonisation se poursuit à toute allure sur le terrain.
En effet, la stratégie israélienne reste inchangée : accélération de la colonisation dans le but de rendre l’occupation irréversible et indiscutable, et ainsi empêcher toute négociation future. Israël poursuit sa politique du fait accompli entamé en 1967.
Les années 1990 voient la montée en puissance d’un nouvel acteur, le Hamas, au détriment d’une OLP jugée compromise avec l’occupant et dont les multiples concessions ne débouchent à aucune avancée concrète.
Fondée en 1987, par le Shaykh Ahmed Yasin à Gaza, ce mouvement paramilitaire prône un retour aux valeurs islamiques et s’impose dans le paysage social et religieux du pays. Son ascension durant la 1ère intifada et dans les années qui suivent les accords d’Oslo marque une nouvelle orientation plus intransigeante après l’échec de l’OLP et du Fatah.
La colonisation se poursuit inlassablement, ainsi que le cycle de la violence. Entre les checkpoints militaires omniprésents et une pression coloniale qui ne dit pas son nom, le climat se tend à nouveau. Une nouvelle provocation mettra le feu au poudre : Ariel Sharon fait irruption sur l’esplanade d’Al Aqsa, entouré de ses gardes du corps lourdement armés, dans une grossière démonstration de force brute. Pour les musulmans c’est la provocation de trop, à peine 10 jours après la commémoration de Sabra et Chatila, un massacre perpétré en 1982, dans un camp de réfugié du même nom : lors de l’invasion du Liban par Israël, des milices phalangistes libanaises massacrèrent froidement 3000 réfugiés palestiniens, sous la surveillance complice de l’armée de Tsahal et avec l’assentiment de ce même Ariel Sharon…
Le lendemain, le 29 septembre 2000, c’est le début de nouvelles émeutes, les pierres répondent aux tirs de balles… Les guérillas urbaines se multiplient contre les forces d’occupation.
Le surlendemain, l’assassinat de Muhammad ad-Durrah, à Gaza, un jeune garçon de douze ans, réfugié derrière son père, fait le tour du monde. Plus de machine arrière possible, c’est la deuxième intifada. Bien plus violente que la première du nom, elle est marquée par des tirs de roquettes, des attentats, des frappes aériennes et de véritables affrontements militaires en milieu urbain, elle fait de nombreux morts et blessés.
Cette intifada se militarise et l’arrivée au pouvoir d’Ariel Sharon en juillet 2001 intensifie la répression. Fin janvier 2003, le nombre total de tués atteint 2 169 palestiniens et 687 israéliens (selon l’AFP), des centaines de maisons sont détruites, des centaines d’hectares de terres sont confisqués. Toute la vie sociale et économique des territoires occupés est bloquée.
La deuxième intifada ne s’achèvera qu’en 2005 avec le retrait israélien de la bande de Gaza et le démantèlement des colonies implantées là (21 colonies)– un désengagement historique perçu comme une victoire de Hamas. Dans la foulée en 2006, le Hamas remporte les élections législatives palestiniennes contre le Fatah vieillissant et corrompu ; un des rares scrutins en pays arabe qui sera tout de même contesté en occident. Mais durant l’été 2007, des tensions récurrentes entre les deux parties du Hamas et du Fatah dégénèrent en une guerre civile au terme de laquelle le Hamas prend le contrôle de la bande de Gaza et le Fatah se réfugie en Cisjordanie. À la suite de quoi, L’Égypte et Israël scellent leurs passages frontaliers avec Gaza et imposent un blocus extrêmement sévère à Gaza qui devient une « prison à ciel ouvert ».
Le blocus de Gaza impose une fermeture totale des passages commerciaux, privant la population de carburants, de produits alimentaires et de produits de première nécessité. Israël contrôle tout ce qui pourrait passer par la terre, la mer et les airs. Israël impose également des restrictions à la fourniture d’électricité. Pour l’UNRWA ce blocus constitue, au regard du droit international, une punition collective infligée à 2,4 millions de gazaouis.
Ce retrait unilatéral de Gaza, qui reste totalement sous le contrôle de l’armée israélienne, avait pour but l’accélération de la colonisation et la construction du « mur de l’Apartheid » : un mur qui isole complètement des villes entières palestiniennes en une série d’enclaves, qui brise tout autant la Cisjordanie et la coupe de Jérusalem-Est. Un mur qui rend impossible la vie des palestiniens encerclés, assiégés alors même que les colonies sont organisées en réseau connectées entre elles pour les juifs israéliens. Selon un rapport de l’ONU, ce mur dévore encore 25% du territoire palestinien (dont 80% de terres fertiles) et déracinent 100 000 oliviers appartenant aux palestiniens, c’est encore 1 400 hectares de terre confisqués.
Alors, terrorisme ou résistance ?
Le Général de Gaulle, lors d’une conférence de presse, le 27 novembre 1967, avait déclaré, en parlant d’Israël : « Maintenant il (Israël) organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation, qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme. »
Après 56 ans d’occupation et 16 ans de blocus, la bande de Gaza est aujourd’hui soumise à ce que le ministre israélien de La Défense, Yoav Gallant, qualifie de « siège complet » : pas d’approvisionnement d’eau, de nourriture, d’énergies, et de carburant, en représailles aux attaques du Hamas du 7 octobre 2023. Depuis, Israël a lancé une vaste offensive, une des plus meurtrières, aux conséquences dramatiques. Gaza est dévastée avec un bilan humain extrêmement lourd.
Nous assistons tout simplement, depuis un mois, à un véritable carnage dans l’enclave palestinienne, réalisé par la troisième force aérienne du monde contre une population civile sans défense.
[1] Source : Theodor Herzl, Diaries (mémoires), Ed. Victor Gollancz, 1958
[2] Source: Theodor Herzl, L’état juif
[3] Source : lesclesdumoyenorient.com
[4] Source : Site Orient XXI, dossier l’orient dans la guerre (1914-1918)
[5] Source : données provenant de Survey of Palestine de 1945
[6] Source :Institute for Middle East Understanding ; Quick Facts : the Palestinian Nakba
[7] Source : Le nettoyage ethnique de la Palestine, Ilan Pappe, ed Fayard
- Partager
Laisser un commentaire