La Palestine : l’histoire trouble d’une guerre de l’information

Assalam alaikoum wa rahmatoullah,

Après être revenus sur l’histoire de la terre palestinienne[1], il convient de s’interroger désormais sur l’enjeu fondamental de l’information, notamment celle émanant des médias mainstream.

Qu’en est-il de la fiabilité des chiffres donnés ? Celle des faits rapportés ? Nous propose-t-on d’étudier l’actualité, ou une vision de celle-ci ? Les médias mainstream tendent-ils à nous faire connaître l’information, ou à la comprendre ?

L’objectif explicite des médias de masse est clairement défini ainsi : proposer la pluralité des points de vue au public pour permettre à chacun de forger son opinion librement. C’est du moins ce qu’avance France 2 avec son slogan « Un regard français sur l’actualité internationale » (voulu par Jacques Chirac) ou encore selon la déclaration de Richard Sambrook, PDG de BBC World, lorsqu’il affirme promouvoir « un traitement de l’information international et neutre », là où « les Français et les Russes veulent donner leur version de l’actualité mondiale ». [2] 

Malgré tout, serait-ce la première fois que la sphère médiatique mettrait en avant un point de vue plutôt qu’un autre ? Qu’en est-il de l’impartialité présupposée des médias ?

Si j’amène le lecteur à se poser tant de questions, cela ne signifie pas nécessairement que toutes les réponses se trouveront dans cet article : mais qu’est venu le temps pour nous de réfléchir, de se recentrer sur les troubles qui animent le contexte géopolitique à l’heure actuelle et amènent à s’interroger sur l’ensemble des aspects de notre vie en société. On ne peut rester léthargique, non seulement en tant que musulman, mais également en tant qu’humain, face à l’actualité.

Nous assistons à un conflit dont l’issue peut changer la face du monde. Par conséquent, une guerre impitoyable de l’information est menée.

Notre objectif, ici, est de donner des outils à nos lecteurs afin d’éviter la manipulation croissante s’adressant à toutes les couches de la société : n’oublions pas notre devoir, en tant que musulman, d’être objectif et surtout du côté de la justice. L’Islam ne comporte absolument aucune obligation de se ranger du côté de nos coreligionnaires quelle que soit leur posture dans un conflit : au contraire, cette vision tribale est désavouée au profit du devoir de maintien de la justice sur Terre en tant que vicaires d’Allah.

« Ordonner le bien et interdire le mal », il ne s’agit pas que d’une phrase à répéter dans nos échanges et pour corroborer nos rappels à autrui : mais bel et bien d’un principe de vie, d’un pilier essentiel de la morale islamique. Si des musulmans agressent des non-musulmans, notre devoir est de nous ranger du côté de l’opprimé contre l’oppresseur :

Le Prophète ﷺ a dit: « Soutiens ton frère, qu’il soit oppresseur ou opprimé. – Ô Messager d’Allah ! dirent les présents, certes, nous le soutiendrons opprimé mais comment le soutiendrons-nous oppresseur ? – En l’empêchant d’opprimer. Répondit-il ﷺ »» [Sahih al-Bukhari 2444]

قال رسول الله ﷺ: « انصر أخاك ظالمًا أو مظلومًا . قالوا : يا رسولَ اللهِ ، هذا ننصرُه مظلومًا ، فكيف ننصرُه ظالمًا ؟ قال : تأخذُ فوق يديه » صحيح البخاري ٢٤٤٤

Or, appliquer ce principe inhérent à la justice et à la vérité nécessite de discerner les deux parties : à savoir l’oppresseur et l’opprimé. Un distingo que nous nous devons de faire dans notre lecture des événements, et cela implique une conscience accrue quant à la véracité de l’information et de notre manière de la recevoir, mais également d’une connaissance du terrain médiatique et de la manipulation dont nous faisons l’objet. On revient donc souvent au même point : le musulman ne peut se permettre d’être hors-sol, déconnecté de son lieu de vie et des réalités qui façonnent l’évolution de la société, en l’occurrence à l’échelle mondiale.

Une évolution dont les médias constituent l’un des paramètres majeurs.

Nous avons étayé les raisons pour lesquelles cette guerre tient une si grande place, d’un point de vue religieux et humain[3]. Le musulman véritable ne peut pas être ignorant des tenants et aboutissants de la situation en Palestine occupée : cela doit être considéré comme une impossibilité technique…

Or, nous devons admettre que résister au flot d’informations qui nous noie entre voix inintelligibles et prises de position de tous côtés n’est pas simple. Au contraire, cela réclame une grande capacité à prendre du recul, réfléchir nos réactions et apprendre à recevoir l’information par le biais des médias. C’est à cette problématique que tentera modestement de répondre cet article.

Incontestablement, une vision seule et unique oriente les médias occidentaux au sujet du conflit : les palestiniens sont agresseurs, et Israël est agressé.

Le « conflit israélo-palestinien » et le terrorisme : les mots au service de la manipulation des faits 

La langue reflète la qualité de la pensée. Qui ne sait formuler ses idées ne saura les défendre et encore moins en être réellement convaincu. Les mots n’ont pas une place importante, ils ont une place cruciale. L’utilisation d’une simple expression à la place d’une autre change radicalement notre perception des événements, et fait partie intégrante de la manipulation dont nous pouvons faire l’objet. Et cela s’illustre particulièrement dans ce cas, où les mots sont autant d’armes sémantiques que les bombes.

Prenons le qualificatif de « conflit israélo-palestinien », il en est un exemple frappant. Selon le dictionnaire de référence Larousse, un conflit correspond à « une violente opposition de sentiments, d’opinions, d’intérêts » ou à une « lutte armée, combat entre deux ou plusieurs puissances qui se disputent un droit ». Communément, un conflit renvoie à une mésentente, une dispute : ce terme est vague à souhait, car il désigne un antagonisme entre deux personnes/idées qui ne s’accordent pas.

Il ne présuppose pas de prédominance d’un camp sur l’autre. Et le qualificatif « israélo-palestinien » achève de mettre sur un même pied d’égalité une armée, cinquième puissance militaire du monde, composée de de 170 000 soldats (sans compter les 450 000 réservistes) disposant d’une technologie militaire de pointe, et un groupe de 25 000 combattants (selon les services de renseignements américains) dont les armes se constituèrent pendant longtemps de bombes artisanales, voire de pierres seulement durant la première intifada. Aujourd’hui, il est clair que le groupe a progressivement élargi ses capacités en se dotant de roquettes et de drones d’attaque par exemple, néanmoins les capacités des groupes armés palestiniens restent incomparables à la force de frappe israélienne, comme en témoignent les bombardements successifs.

D’autre part, on ne peut parler d’influence du langage sans parler de l’emploi du terme «terrorisme». Les Nations Unies n’ont jusqu’à ce jour pas de définition commune. Comment alors expliquer l’effet de l’emploi du mot « terrorisme » dans la sphère médiatique et au sein de la population ?

L’emploi du champ lexical de la terreur affole, exacerbe même les réactions par son indéfinition. Privé de sens officiel, n’ayant pas de réelle conséquence au niveau juridique, il peut être utilisé à tort et à travers par quiconque souhaite décrédibiliser l’action du camp adverse.

Toujours selon le dictionnaire Larousse (il s’agit donc de la définition française), le terrorisme désigne un « ensemble d’actes de violence (attentats, prises d’otages, etc.) commis par une organisation ou un individu pour créer un climat d’insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays, d’un système ». On parle donc d’actes violents certes, mais qui sont l’apanage de toutes les guerres.

Par ailleurs, il est à noter  que l’ensemble des organisations considérées comme ennemies (par un gouvernement quelconque) furent qualifiées de « terroristes » dans l’Histoire. Les exemples sont nombreux : l’ANC en Afrique du Sud, le FLN algérien…Pour le premier cas, Nelson Mandela (un des fondateurs de l’ANC) fut retiré de la liste noire américaine des « terroristes » en 2008, lorsque l’ANC ne fut plus considérée comme ennemie par les USA. Ce qui n’empêche pas que l’organisation usa parfois de la violence pour faire entendre ses revendications (comme les actions de sabotage par l’aile du MK fondée en 1961).

D’ailleurs, la célèbre phrase de Nelson Mandela prononcée en 1990 à New-York, quant à la situation palestinienne est curieusement omise dans les émissions et articles des médias mainstream occidentaux consacrés au conflit. Mandela avait alors affirmé : « En ce qui concerne Yasser Arafat, j’ai expliqué à M. Siegman que nous nous identifions à l’OLP parce que tout comme nous, ils se battent pour le droit à l’autodétermination  ».

La qualification de « terroriste » est dès lors un parti pris pour un camp plutôt qu’un autre et une interprétation des événements. Elle participe au processus de déshumanisation employé par un camp pour discréditer l’autre. Une diabolisation déjà effective pour la résistance française sous Vichy durant la Seconde Guerre mondiale, à l’encontre du réseau Manouchian par exemple. Un procédé somme toute récurrent dont témoigne « L’Affiche Rouge » des services de propagande allemands en France. C’est pourtant en mémoire de ces mêmes maquisards que l’appellation de « résistance palestinienne » provoque un tel vacarme…

Si l’on souhaite parler de terrorisme lorsqu’on traite de la situation actuelle en Palestine, il serait malhonnête d’omettre de mentionner l’Irgoun, ce groupe de la droite sioniste qualifié de « terroriste » par le Royaume-Uni s’étant rendu coupable des massacres de Deir Yassin et des attentats des marchés d’Haïfa et de Jaffa, qui firent également des victimes juives, sans compter des dizaines d’autres actes se rapportant à la définition telle qu’énoncée par le Larousse. L’Irgoun et le Lehi (encore une autre organisation terroriste israélienne) qui rappelons-le, finiront par être réincorporés à la Haganah pour former Tsahal, l’actuelle force armée officielle de l’Etat hébreu.

Le dirigeant de l’Irgoun, Menahem Begin, fut 1er ministre israélien durant six ans.

Il est intéressant de relever que généralement, le terme « crime de guerre », plus explicite, est bien moins employé, car il revêt un sens précis et implique le langage juridique. Là encore, l’inexactitude est un moyen habituel mais très efficace de biaiser l’information.

On ne peut que dénoncer le parti pris des médias occidentaux sans souligner l’orientation idéologique suggérée par la fameuse question : « Condamnez-vous le Hamas ? »  posée systématiquement au début de chaque débat ou de chaque entretien avec une personne représentant le point de vue palestinien et ce, même s’ils ne sont affiliés ni de près ni de loin au Hamas. Il paraît évident que la neutralité normalement inhérente au débat démocratique est absente, car la réponse à cette question catégorisera immédiatement le locuteur dans le clivage Israël-Palestine. On peut s’interroger quant à un éventuel manque de déontologie journalistique…

En définitive, on ne peut occulter les caractéristiques fourre-tout de l’emploi de ces deux terminologies : « conflit » et « terrorisme », qui en font des vecteurs idéaux de manipulation et qui sont un exemple criant du parti pris médiatique en France.

Fake-news et mécanismes de propagande

Au-delà d’une actualité brumeuse aux interprétations sujettes à caution, certains faits présentés se sont avérés mensongers, au détriment de la recherche de la vérité, qui est censée caractériser l’éthique journalistique. Malheureusement, leur vitesse de propagation est bien plus élevée que celle de réfutation.

  •  L’un des exemples les plus frappants de ce phénomène en lien avec la situation actuelle en Palestine est la fameuse nouvelle ayant fait le tour du monde : les quarante bébés décapités par le Hamas dans un kibboutz peu après les attaques du 7 octobre. Cette nouvelle annoncée par un journaliste de la chaîne franco-israélienne i24News et répétée par Benyamin Netanyahou (le 1er ministre israélien) fut par la suite mise en doute par la porte-parole du Tsahal, puis par la journaliste Samuel Forey, présent sur les lieux, et enfin le journaliste à l’origine de cette information avoua qu’il n’avait pas été témoin oculaire de cette scène macabre, suite à une enquête de Checknews.

Le plus désolant étant la mention de cet événement par le président étasunien Joe Biden dans son discours du 11 octobre, propos recadrés officiellement par la suite dans un communiqué de la Maison Blanche.

  • Il en est de même pour la fake-new du bébé brûlé dans un four : la chaîne de relais de l’information est tout autant douteuse. A l’origine :  le tweet d’un journaliste américain relayé par un faux compte du Mossad, le service de renseignement israélien. Par la suite, des responsables d’organisations israéliennes eux-mêmes démentirent (Yossi Landau) ou affirmèrent qu’aucune preuve de cet événement n’est présentable (Chaim Levenson). Le compte de fact-checking israélien FakeReporter fit de même.

De surcroît, lorsque la propagation des infox conduit à une protestation quelconque, les médias désignent à la vindicte publique le Hamas et ses attaques qui seraient responsables de la mort des journalistes dans la bande de Gaza, ce qui compliquerait le suivi du « conflit ». Il est, à ce titre, nécessaire de rappeler que 36 des 41 journalistes tués sont palestiniens, 4 sont israéliens et 1 d’entre eux est libanais, comme le rapporte l’ONG Reporters sans frontières [4] . Ces statistiques ne sont pas dépourvues de conséquences, et mettent en évidence le manque d’honnêteté intellectuelle observable dans le traitement de la question palestinienne.

Des images choquantes, détournées de leur propos initial,  associées à des messages enflammés, tout cela en jouant sur l’émotion d’un public à fleur de peau, telle est la recette de la viralité dont les médias officiels comme informels sont friands. Ajoutez à cela une paresse intellectuelle lancinante nous empêchant de vérifier la fiabilité des informations où tout du moins d’émettre des réserves quant à celle-ci. Une problématique aggravée par le culte de l’instantané et de la réaction à vif gangrénant les esprits.

Le fait de ressasser sur les médias formels et informels des faits aussi horrifiques contribue à paralyser l’esprit critique de la masse : un matraquage informatif qui joue du caractère instable, momentané et surtout facilement malléable des réactions émotives. A ce titre, le fait de parler de personnes considérées vulnérables (civils, enfants, femmes enceintes, personnes âgées…) et décrire les méfaits d’odieux terroristes masqués donne instantanément une toute autre dimension au débat, l’orientant sur le terrain subjectif au détriment de la rationalité. Quiconque irait contre cette vision pour présenter une vision factuelle des choses, chiffres et références historiques à l’appui, se verrait aussitôt qualifié d’insensible et de méprisant à l’égard des droits humains les plus élémentaires.

En outre, les personnalités invitées à s’exprimer sur les plateaux TV contribuent malheureusement fort souvent  à cette distorsion de l’information : nous pouvons citer l’exemple de Julien Bahloul, mis en lumière pour ses témoignages concernant les attaques du Hamas. Ce jeune homme initialement présenté comme un « habitant de Tel-Aviv » s’avère être bien plus qu’un simple citoyen. En réalité, M. Bahloul, est un ancien porte-parole de Tsahal, un de leurs attachés de presse, un ex-journaliste d’i24News (chaîne franco-israélienne lancée par Patrick Drahi en 2013) et un réserviste de l’armée d’occupation. Un palmarès qui ne manqua pas d’être masqué par la chaîne dont il était le témoin de prédilection jusqu’à ce qu’une enquête révèle l’omission : dès lors, Julien Bahloul sera présenté comme «spécialiste de la société israélienne»…

On constate donc les mêmes mécanismes qui appartiennent, incontestablement, à la propagande : un appel permanent aux émotions, une fragmentation informative en ne présentant systématiquement qu’un point de vue sans jamais l’opposer à sa contradiction, la propagation insidieuse et fulgurante d’informations trompeuses relayées par les représentants du gouvernement israélien et enfin un thème unique et un message répété voire martelé : « Face aux actes terroristes du Hamas, Israël a le droit de se défendre ».

Un phénomène confirmé par le spécialiste des fake-news Gérard Grizbec[5] :  « Les photos et les vidéos qui défilent sous les hashtags #Gaza ou #Israël sur X (ex-Twitter) font appel à l’émotion et pas au raisonnement », affirme le membre de l’IRIS[6] au journal La Dépêche.

Invisibilisation et antisémitisme : le débat démocratique à sens unique

« Je n’ai pas connu une situation où on a imposé à [un] tel point un discours unique et interdit toutes les autres voix qui portaient des visions différentes » [7]

Ces propos sont ceux d’Alain Gresh, journaliste fondateur du média Orient XXI et spécialiste du « conflit israélo-palestinien », lorsqu’il fut interrogé sur celui-ci à la lumière des récents événements : l’on ne saurait mieux résumer le climat de silence entretenu. Là où seules les frontières du débat démocratique devraient prévaloir, il s’avère qu’une prise de position est incessamment promue par la sphère médiatique à l’ensemble de la population.

  • Un évenement vient illustrer cette invisibilisation parfois encore plus meurtrière que les fake-news à l’état pur : la remise des otages Yocheved Lifshitz (85 ans) et Nourrit Kuper (79 ans) par le Hamas le 23 octobre 2023. Originaire du kibboutz Nir Oz, à proximité de la bande de Gaza, Yocheved Lifshitz raconte au micro de la presse à Tel-Aviv son enlèvement, où elle explique avoir été transportée couchée en travers sur une moto, ce qui fut très douloureux, et affirme avoir traversé l’enfer. Il s’agit d’ailleurs des gros titres de l’ensemble des journaux ayant relayé cet information « J’ai traversé l’enfer… ». Toutefois, les mêmes plateformes de diffusion omettent de mettre en avant la suite du témoignage : elle mentionne notamment que «Un médecin venait tous les deux ou trois jours pour voir comment nous allions et pour s’assurer que nous avions des médicaments» ,« qu’ ils [les ravisseurs] étaient très courtois» et qu’ils « s’assuraient que nous étions propres, que nous mangions. Nous mangions la même chose qu’eux » [8].

Bien que la première partie du témoignage soit aussi importante que la seconde, on est surpris de constater que l’ensemble des médias mainstream occidentaux reprennent la phrase « j’ai traversé l’enfer » pour titrer leurs articles et émissions, ce qui n’est, à l’évidence, pas sans conséquence sur la réception de l’information par les lecteurs/auditeurs : un titre n’est jamais choisi au hasard et il a pour objectif de synthétiser le sujet développé.  

  • Il en est de même pour l’interview de Yasmin Porat, une israélienne de 44 ans survivante de l’attaque du kibboutz de Be’eri, à la radio israélienne Kan. Retranscrit sur le site allemand overton-magazin.de, le témoignage éclaire sur le procédé employé par l’armée israélienne : après s’être saisis du Palestinien ayant capturé Yasmin, les soldats auraient « éliminé tout le monde, y compris les  otages », dont «cinq ou six otages […] dehors, par terre […]  entre les tirs de nos soldats et des terroristes ». Et lorsque le journaliste (Aryeh Golan) lui demanda si c’était les terroristes qui auraient abattu ces prisonniers, elle répond par la négative. Enfin, à la question « Nos forces armées pourraient donc les avoir abattus ?» elle rétorque clairement : « Sans aucun doute ».

On ne trouve, étrangement, aucune trace de ce témoignage dans la presse mainstream française, en dépit de son caractère édifiant et de son importance pour une interprétation objective des évenements se tenant sur le sol palestinien. Un silence qui soulève de nombreuses interrogations.

Ainsi, l’invisibilisation, comme nous l’avons déjà mentionné, permet une exposition binaire des points de vue : un Hamas terroriste et sanguinaire vs un Israël spolié et victime. En vertu de ce principe, les luttes menées par les citoyens du côté palestinien sont (plus ou moins) subtilement dénoncées, ou simplement ignorées. Conséquemment, l’invisibilisation permet quelque chose de très important pour l’orientation de l’opinion publique : donner l’impression que l’ensemble de la population est sur la même longueur d’onde et prendre position pour le même camp.

Il est bien plus difficile d’objecter lorsque l’on se sent seul, que lorsque nous savons que plusieurs centaines de milliers de personnes nous soutiendrons dans notre initiative… D’où l’importance du discernement et de l’union dans la communauté pour éviter ces pièges.

Un des leviers de cette manipulation consiste à qualifier toutes les voix qui contesteraient le statut de victime d’Israël, d’antisémites. Une étiquette bien difficile à arracher qui illégitime instantanément le moindre discours critique.

Rappelons, à ce sujet, que l’Islam fait de la différence culturelle une grande richesse, et qu’il est absolument prohibé dans notre morale, dont le Prophète (paix et bénédiction de Dieu sur lui) fut l’enseignant, d’éprouver une haine pour une communauté , simplement pour leur différence. Une réalité que dépeint fort justement Thomas Sibille dans son ouvrage « l’Islam au secours de l’Homme moderne » :

« La culture islamique est avant tout une culture ouverte vers l’intérieur et vers l’extérieur. L’ouverture est l’un des éléments de son identité. Le Coran fait ressortir l’importance de la compréhension et du dialogue entre les peuples. {Ô Hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux. Allah est certes Omniscient et Grand Connaisseur } ( sourate 49, verset 13) »

Le musulman a le devoir de se défendre lorsqu’il est attaqué, quelle que soit l’ethnie ou la confession de son agresseur, mais il est totalement contraire à ses principes de haïr une communauté toute entière, pour les méfaits de l’un de ses membres. Islamiquement, l’amalgame est synonyme d’injustice.

Par ailleurs, il s’avère que certaines personnalités juives elles-mêmes furent invisibilisées par les médias occidentaux après leur prise de position jugée pro-palestinienne. Comme le dit justement Pascal Boniface (géopolitologue français et fondateur de l’IRIS) pour introduire son interview de Yakov Rabkin[9] : « En France, des responsables institutionnels, des intellectuels communautaires et certains hommes politiques affirment que l’antisionisme n’est que le masque d’un antisémitisme qui n’ose pas ou qui n’ose plus s’afficher au grand jour ».

La réponse de son interlocuteur (professeur d’histoire contemporaine et écrivain de confession juive) est édifiante :  « Ces accusations sont fausses et cyniques. Fausses parce que le sionisme constitue une rupture dans la continuité historique du judaïsme. Les intellectuels sionistes et les rabbins orthodoxes qui s’y opposent s’entendent sur le fait que le sionisme représente une négation de la tradition juive ».

Une réalité que de nombreux historiens et intellectuels juifs,  comme Yosef Salmon (expert israélien de l’histoire du sionisme) [10] ou encore Noah J. Efron, historien israélien, s’évertuent à déterrer d’une mémoire collective de plus en plus paralysée.

« En tant qu’historien, je ne peux que constater que l’imposition de la structure politique du sionisme a engendré une violence chronique. », nous dit Yakov Rabin dans son entretien avec Pascal Boniface.

L’idée selon laquelle Israël serait une cause fédératrice pour l’ensemble de la communauté juive est donc totalement fausse. Elle fait pourtant les choux gras des programmes des chaînes d’information mainstream.

Les exemples sont innombrables : Avraham Burg (ex-président du Parlement israélien) affirme qu’Israël est un « ghetto sioniste ». Il affirme également que « Israël est une société effrayante ». Pour le rabbin Isaac Breuer, le sionisme est « l’ennemi le plus terrible qui ait jamais existé pour le peuple juif ».  Le mouvement antisioniste Jewish Voice for Peace organisa une manifestation le 18 octobre aux Etats-Unis pour réclamer un cessez-le-feu à Gaza[11], dont des centaines de participants pénétrèrent dans le Congrès américain, avec le slogan « Pas en notre nom » afin de réclamer la condamnation du « système d’apartheid d’Israël » par l’Etat américain. 127 intellectuels juifs français appelèrent les députés français à ne pas soutenir ni voter la proposition de résolution sur la lutte contre l’antisémitisme qui impliquait une assimilation de « l’antisémitisme » et de « l’antisionisme » (le plus surprenant étant que cette proposition n’a pas été faite suite aux attaques du 7 octobre, mais en 2019)[12].

Enfin, Rony Brauman, (médecin franco-israélien, ex-président de Médecins sans frontières), au sujet de de la marche contre l’antisémitisme organisée en France le dimanche 12 novembre, à l’appel de la présidente de l’Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet et du président du Sénat, Gérard Larcher, affirme quant à lui que « Je n’irai pas manifester dimanche, car je trouve que c’est totalement déséquilibré, et que dans le contexte actuel, c’est plutôt une marche en soutien à Israël qu’une marche en soutien aux juifs » et que « Israël aujourd’hui, met en danger les juifs », avant de qualifier l’Etat hébreu d’endroit « où les juifs sont le plus en danger au monde mais [qui] met [aussi] en danger les juifs du monde »[13]

Comment prétendre alors que l’antisionisme serait un acte antisémite, quand des juifs eux-mêmes dénoncent les pratiques de l’Etat hébreu et contestent sa légitimité, appelant parfois au boycott de ce dernier ? Lorsque des membres importants de cette communauté elle-même refusent une synonymisation des deux termes ?

L’accusation d’antisémitisme représente ainsi le vecteur idéal de diabolisation, visant à faire de la lutte contre le racisme une chasse aux sorcières dont la sphère médiatique est le théâtre.

En conclusion : terrorisme…ou résistance ?

De fait, l’on parle ici d’un Etat bâti sur les massacres d’une population civile subissant un embargo de grande ampleur depuis des années, ayant violé plus de trente résolutions de l’ONU [15] , exerçant une lutte armée en contradiction totale avec le droit international, causant une catastrophe humanitaire sans précédent dans une zone dont la densité de population est la plus élevée à l’échelle mondiale , tout cela en visant spécifiquement des hôpitaux, mettant la vie de ses propres citoyens otages en danger, tandis que de nombreux membres de la communauté juive se désavouent ouvertement d’un système oppresseur contre lequel la population israélienne a récemment manifesté [16], et qu’une ONG israélienne, B’Tselem, dénonce un régime d’apartheid et un régime de suprématie juive institutionnalisée (plus de deux ans avant les attaques du 7 octobre) [17].

Apartheid au sujet duquel le si renommé défenseur des droits humains Nelson Mandela ne manqua pas de s’exprimer : «L’apartheid est un crime contre l’humanité. Israël a privé des millions de Palestiniens de leur liberté et de la propriété. Il a perpétué un système de discrimination raciale et d’inégalité. Il a systématiquement incarcéré et torturé des milliers de Palestiniens, en violation des règles du droit international. Il a, en particulier, mené une guerre contre une population civile, en particulier les  enfants ».[18]

Dans un contexte géopolitique parsemé de bouleversements de plus en plus marquants (guerre russo-ukrainienne, «conflit israélo-palestinien»…) l’analyse des évenements requiert une objectivité et une capacité de discernement de plus en plus rares dans notre société actuelle. Entre flot d’informations controversées, communications propagandistes et trouble général d’une opinion publique ballotée entre accusations d’extrémisme et matraquage idéologique, l’alternative des réseaux sociaux aux médias traditionnels constitue un nouveau facteur de division.

 Face à une telle situation, les principes islamiques seuls devraient guider notre interprétation des événements et nos actions au quotidien : la manipulation dont nous faisons l’objet à l’échelle mondiale n’est qu’une preuve de plus quant à notre devoir de discernement et de capacité à défendre nos opinions. Le musulman se caractérise par sa réflexion profonde : Allah nous exhorte à méditer sur ce qui nous entoure et à lire le monde comme un témoignage de notre propre faiblesse, mais également de notre faculté à raisonner et propager le bien.

«وَسَخَّرَ لَكُم مَّا فِى ٱلسَّمَٰوَٰتِ وَمَا فِى ٱلْأَرْضِ جَمِيعًا مِّنْهُ إِنَّ فِى ذَٰلِكَ لَءَايَٰتٍ لِّقَوْمٍ يَتَفَكَّرُونَ

45 : 13 – Et Il vous a assujetti tout ce qui est dans les cieux et sur la terre, le tout venant de Lui. Il y a là des signes pour des gens qui réfléchissent. »

Là où d’autres laisseraient l’émotion et l’impuissance les submerger, la communauté se doit de se rassembler sous l’étendard de la justice et de l’équité pour propager ses valeurs. D’où l’importance pour la jeunesse musulmane de sortir du cercle routinier dans laquelle on nous confine, nous amenant souvent à nous focaliser sur l’inutile et à perdre notre sens des responsabilités vis-à-vis de ce que vivent nos frères et soeurs. Relégués au rang de grands enfants incapables de réfléchir par eux-mêmes, il est du devoir des jeunes musulmans d’user de leur esprit critique et de leur moralité pour s’imposer face aux défenseurs de l’oppression.

La Palestine n’est ni une terre sans peuple, ni destinée à un peuple sans terre.

Et Allah et le plus Savant.

Inès G.

Bibliographie :

[1] La Palestine, retour sur l’histoire pour comprendre l’actualité

[2] « La BBC va lancer des chaînes d’information en 33 langues », Le Figaro, 8/06/2007

[3]  Le conflit israélo-palestinien ou la culture du déni

[4] rsf.org, article du 07/11/2023

[5] Guerre Israël-Hamas : fake news, manipulation… Article du 01/11/2023, la Dépêche

[6] Institut des Relations Internationales et Stratégiques

[7] Interview d’Alain Gresh par Le Média, 7/11/2023

[8] Guerre Hamas – Israël : « J’ai traversé l’enfer »… Le témoignage d’une otage libérée, 24/10/2023, 20 Minutes

[9] https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2004-4-page-17.htm

[10] « Le sionisme a posé la plus grave des menaces parce qu’il visait à voler à la communauté traditionnelle, tant au sein de la diaspora qu’en Eretz Israël [Terre d’Israël], tout son patrimoine, à lui enlever l’objet de ses attentes messianiques […] La menace sioniste a atteint chaque communauté juive. Elle était implacable et frontale, et l’on ne pouvait lui opposer qu’un rejet sans compromis » Yosef Salmon, « Zionism and Anti-Zionism in Traditional Judaism in Eastern Europe »

[11] Des manifestants occupent un bâtiment du Congrès américain et réclament un cessez-le-feu à Gaza, 18/10/2023, Ouest France

[12] Tribune du Journal Le Monde, 02/12/2019

[13] Interview de Rony Brauman à TV5 Monde, 13/12/2023

[14] https://news.un.org/fr/story/2023/10/1140072

[15] Résolutions de l’Onu non respectées par Israël, Le Monde diplomatique

[16] https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20231015-isra%C3%ABl-manifestation-anti-netanyahou-%C3%A0-tel-aviv

[17] « Une ONG israélienne, B’Tselem, dénonce un régime d’apartheid », Le Monde, 12/01/2021

[18] Discours donné en 2001  par Nelson Mandela aux Etats-Unis à l’occasion de son entretien avec le journaliste américain juif Thomas Friedman

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