L’Homme face à l’intelligence artificielle : entre illusions et perte de sens

     Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est devenue omniprésente dans notre quotidien : politique, médias, santé, transport ou même éducation, elle bouleverse les habitudes et s’immisce partout. D’autant affirment qu’elle rivalise – voir dépasse – l’être humain dans la réalisation de certaines tâches. Ce que beaucoup saluent comme une avancée technologique sans précédent, pourrait bien devenir, à terme, un facteur d’abrutissement généralisé. Derrière son efficacité apparente, l’IA soulève des questions fondamentales sur ce qu’elle révèle de notre humanité et de la direction que prend notre société

Les limites d’un outil fascinant mais trompeur

     Prenons l’exemple de ChatGPT, une des nombreuses IA conversationnelles qui impressionne par sa capacité à produire des réponses fluides, plausibles et cohérentes. Derrière cette façade se cache une réalité qu’il apparait important de rappeler : ChatGPT n’a pas de capacité de compréhension ou de raisonnement humain. Il ne fait qu’assembler des mots sur la base de probabilités, incapable de discerner le vrai du faux ou d’expliquer par exemple la nature des sources qu’il mobilise. Son usage non encadré expose donc l’utilisateur, en particulier de jeunes élèves ou étudiants, à des erreurs qu’ils ne pourront pas toujours détecter. 

     Un autre exemple des limites de ChatGPT est qu’il n’est pas capable de résumer, il se contente de raccourcir. Ce savoir-faire qui exige une solide compréhension de lecture pour saisir les points clés, une paraphrase efficace pour condenser les informations, et une capacité à identifier et à hiérarchiser les idées essentielles de la pensée d’un auteur, reste intrinsèquement humain.  

     Et il n’est pas seulement question de limites techniques, ces IA génératives créent une dépendance croissante. Là où, autrefois, la formation intellectuelle reposait sur des efforts de réflexion, d’analyse et de structuration du raisonnement, l’IA offre des raccourcis séduisants. Aujourd’hui, un étudiant peut obtenir un texte « correct » sans effort réel, sacrifiant ainsi la maîtrise de son esprit à une machine qui n’a aucune conscience et qui assemble des mots et des phrases selon des algorithmes. Ce phénomène créera forcément un fossé entre ceux qui savent exploiter ces outils en connaissant leurs limites et ceux qui abandonnent toute autonomie intellectuelle au profit de la machine.

Des études récentes confirment d’ailleurs cette dépendance, ChatGPT tend à affaiblir l’attention et à renforcer la passivité intellectuelle. 

Quant aux compétences dites impressionnantes de ChatGPT, il me semble que les seuls à trouver cette IA véritablement remarquable soient ceux qui sont moins bons que l’outil dans l’exécution des tâches qui lui sont confiées. Soyons honnêtes, ChatGPT n’est rien de plus que la moyenne des capacités humaines. En se reposant sur un tel outil, on ne fait que plafonner dans la médiocrité tout en se privant d’un véritable développement intellectuel. 

L’idéologie transhumaniste ou la négation de la spiritualité humaine  

     L’IA n’est pas qu’un simple outil ; elle est aussi le fer de lance d’un mouvement idéologique : le transhumanisme. 

Ce courant prône l’amélioration de l’homme par les sciences et technologies, notamment l’IA, allant jusqu’à dépasser les limites pour créer un « post-humain » supérieur. 

Ray Kurzweil, directeur de l’ingénierie chez Google et grande figure du transhumanisme, promet un avenir où l’homme fusionnera avec la machine pour accéder à une immortalité digitale. Il affirme que grâce à l’IA, l’être humain pourra réparer son enveloppe fragile vouée au déclin et fusionner son esprit avec la machine pour sauter dans les bras de l’éternité. Derrière ces promesses, se cache une vision profondément matérialiste de l’être humain, réduit à un ensemble de données transférables sur des puces. 

Qu’en est-il de l’âme, de la conscience, de la spiritualité ? 

L’IA aussi performante soit-elle, ne peut émuler le cerveau humain. Selon les neuroscientifiques, le plus grand obstacle ne réside pas dans les progrès de l’IA mais dans les limites de nos connaissances biologiques sur le cerveau humain. Le cerveau de chaque individu est unique, et les neurosciences et la psychologie admettent leur incapacité à expliquer pleinement ce qui fait l’individualité et l’expérience subjective de chaque être humain. 

Transférer l’esprit, les émotions, le sens critique, ou encore l’humour, depuis le cerveau humain vers une puce afin d’aboutir à une vie éternelle débarrassée d’un cerveau vieillissant, est un fantasme de mégalomane ! Un défaut d’hubris, ignorant les limites de la condition humaine ! Oui la machine, dans une certaine mesure et pour certaines tâches, peut mimer un comportement intelligent mais elle ne remplacera jamais la perfection de la création divine. 

Affirmer que l’intelligence artificielle pourrait bientôt surpasser l’intelligence humaine témoigne d’une méconnaissance profonde de la nature même de l’intelligence humaine, tout en soulevant des enjeux fondamentaux en contradiction avec le crédo musulman qui guide notre vision du monde. 

Cette quête d’immortalité chez l’Homme n’est pas nouvelle, elle rappelle la tentation d’Adam et Hawa au Paradis, qui, séduits par la promesse de Satan d’une vie éternelle, désobéissent à Allah et découvrent leur vulnérabilité d’êtres humains. De la même manière, le transhumanisme, dans son essence, reproduit cette même rébellion contre l’ordre divin, détournant l’Homme de sa nature pour embrasser des chimères technologiques. 

La culture du divertissement : le cheval de Troie idéologique

     Pour que ces idéologies s’installent dans nos esprits, elles s’appuient sur un vecteur puissant : la culture du divertissement. Jeux vidéo, films, séries, science-fiction, façonnent l’imaginaire collectif pour nous rendre le transhumanisme désirable. 

L’exemple parfait se trouve dans l’univers cinématographique Marvel. Des personnages comme Iron Man, amélioré par son armure technologique, ou Vision, fusion homme-machine, incarnent l’idéal transhumaniste, où la technologie transcende les limites humaines. Derrière ces récits, on prépare les esprits à accepter l’idée que la technologie est synonyme de perfection et de salut. Ces productions hollywoodiennes mettent en scène une humanité augmentée mais profondément dénaturée. En plus d’illustrer une vision posthumaniste, ces super-héros intègrent des éléments de la théorie queer en défiant les normes traditionnelles du genre et de la sexualité. Ils représentent une fluidité identitaire, un espace de négociation, de transformation et de subversion des attentes normatives. En repoussant les limites de l’humain, l’univers Marvel offre ainsi une critique subtile des constructions du genre et de la masculinité, une étape nécessaire pour dépasser sa condition humaine. 

Mais ne soyons pas dupes, derrière cette glorification du progrès technologique se dissimule une stratégie économique et idéologique majeure. Derrière le mythe transhumaniste s’avance masquée une gigantesque toile d’intérêts économiques. Les géants du numérique investissent des milliards pour promouvoir un monde où l’homme serait libéré de toutes contraintes biologiques et morales. En vérité, cette quête d’immortalité et de perfection des corps et des esprits, n’est qu’un produit de consommation, où l’être humain n’est qu’une marchandise parmi d’autres. La réalité est que ces courants de pensées préparent un monde de dérégulation sauvage qui donnera lieu à une civilisation hypermercantile. 

Fusionner l’homme et l’IA, n’est en rien le chemin de l’immortalité, mais une voie vers sa chute : la destruction systémique de ce qu’il y a de plus noble chez l’humain, en éliminant tout sens moral, toute autonomie intellectuelle et toute spiritualité. L’IA ne nous élève pas : elle nous asservit. 

Loin de nous transformer en surhommes, en Captain America des temps modernes, l’IA semble plutôt nous conduire vers une dépendance insidieuse, réduisant nos capacités cognitives et notre autonomie intellectuelle, affaiblissant notre attention et nous enfermant dans une passivité intellectuelle, transformant notre esprit en simple consommateur de données. Nous sommes bien loin de l’idéal d’une humanité augmentée !

Dans un monde saturé par l’infobésité et les distractions constantes, l’homme moderne semble de plus en plus incapable de remettre en question ces illusions. Submergé, il accepte ces promesses sans recul critique, prêt à céder à la machine ce qui fait sa dignité : son autonomie, sa réflexion, et surtout sa spiritualité, devenant un consommateur passif. 

La résistance aux illusions moderne : le Tawhid

     Adam et Hawa en croyant à la promesse de Satan ont désobéi à Allah, mais ils ont retrouvé le chemin divin par la demande de pardon et le repentir. 

Les promesses du transhumanisme, de l’IA, et de tous ces outils ne sont que chimère, car rien ne pourra augmenter l’Homme pour dépasser ses limites biologiques ou le rapprocher de l’immortalité. Ces illusions ne font que nous éloigner de ce qui donne réellement sens à notre existence terrestre. 

La seule voie réside dans le Tawhid, le monothéisme pur. Cela exige de l’Homme qu’il doive faire des efforts, cultiver une pensée critique, et recentrer sa vie sur la purification de son âme tout en rejetant fermement ces idées mortifères. 

Loin de proposer une vision manichéenne de l’IA, cet article l’interroge, et questionne aussi l’idéologie dont elle est issue. En définitive, l’IA et le transhumanisme ne sont pas de simples outils ou concepts ; ils sont porteurs d’une vision du monde qui oppose la matérialité à la spiritualité. En tant que musulmans, nous avons la responsabilité de nous interroger sur la pertinence de ces outils et sur la conséquence de leur usage. La technologie, si elle peut être utile, doit rester un moyen, non une fin. 

Notre responsabilité est immense : éduquer nos enfants à utiliser ces outils avec discernement, tout en leur rappelant que la vraie grandeur réside dans le service à Allah et à l’humanité. 

L’avenir ne sera pas façonné par des puces ou des algorithmes mais une jeunesse éveillée, capable de résister aux illusions modernes et de marcher sur le chemin de la vérité. 

Références : 

Transhumanisme : de l’illusion à l’imposture
https://lejournal.cnrs.fr/billets/transhumanisme-de-lillusion-a-limposture  

Transhumanisme et intelligence artificielle : pourquoi autant d’alarmes ?
https://information.tv5monde.com/international/transhumanisme-et-intelligence-artificielle-pourquoi-autant-dalarmes-29717 

Des lumières au transhumanisme : Quelle civilisation à l’ère technologique
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-meilleur-des-mondes/des-lumieres-au-transhumanisme-quelle-civilisation-a-l-ere-technologique-1833975

Le mouvement transhumaniste, approches historiques d’une utopie technologique contemporaine, par Franck Damour.
https://shs.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2018-2-page-143?lang=fr#s1n5

Flouting norms, forging identities : Queering of hypermasculinity in Marvel Cinematic Universe’s posthuman superhero pantheon, Prasenjit Panda, Rajeshwari Bandyopadhyay
https://journal.trunojoyo.ac.id/simulacra/article/view/25326?utm_source=chatgpt.com 

Don’t use AI to summarize documents – it’s worse than humans in every way
https://pivot-to-ai.com/2024/09/04/dont-use-ai-to-summarize-documents-its-worse-than-humans-in-every-way/

Étude 2024 – L’impact des IA génératives sur les étudiants, initiée par le pôle Léonard de Vinci, RM conseil et Tala
https://open.devinci.fr/ressource/etude-2024-impact-ia-generatives-etudiants/ 

Generative AI : What you need to know, Baldur Bjarnason
https://needtoknow.fyi

L’islam au secours de l’homme moderne, tome 2, Thomas Sibille, éditions Héritage

1 reply on “L’Homme face à l’intelligence artificielle : entre illusions et perte de sens”

  • BarakalLahoufikoum et الحمد الله pour votre retour 🙂 , ne lâchez rien on vous soutient de tout coeur ❤️!

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