
« Nouvelle collection », « Notre sélection pour l’automne », « La nouvelle tendance qu’il vous faut absolument », « La collection capsule : seulement 500 pièces disponibles ».
Tous les moyens sont bons pour créer des vêtements et vous pousser à les acheter. Des vêtements dont vous n’avez pas besoin. Des vêtements éphémères dont la durée de vie est si courte qu’ils sont quasiment jetables : ces vêtements qui forment les 80 milliards de vêtements neufs consommés dans le monde.
Ce phénomène est ce qu’on appelle « La fast fashion » ou « mode jetable » . Un mode de consommation qui pousse les consommateurs à acheter toujours plus, et les marques à produire encore plus. Un mode de consommation au détriment de la nature mais également des ouvriers du textile dont les conditions de travail sont déplorables voire inhumaines.
Comment en sommes-nous arrivés à ce mode de consommation ? Que se cache-t-il derrière nos vêtements lorsqu’on les achète ? Comment devons-nous nous comporter en tant que musulmans face à cette mode toujours plus éphémère ?
5h30 au Cambodge
Dans la ville de Phnom Penh, des centaines d’ouvriers – dont la majorité sont des femmes – se rendent vers leur lieu de travail : les « sweatshops », ces ateliers où s’entassent plusieurs dizaines d’ouvriers pour fabriquer en continu, du matin au soir, des vêtements. Ces mêmes vêtements qui, quelques semaines plus tard, rempliront les rayons des grands magasins.
Des ouvriers aux conditions de travail déplorables, qui connaissent des malaises à cause de la chaleur des ateliers, qui n’ont pas suffisamment d’argent pour s’acheter un repas décent ou même pour se soigner en cas de maladie au risque d’être licenciés. Ces ouvriers qui travaillent courbés, dont les teintures de vêtements brûlent les mains. Ces ouvriers qui travaillent pour vivre, ou plutôt survivre, avec leur salaire mensuel de cent dollars, soit l’équivalent de soixante-douze euros. Ces ouvriers, qui, de leur souffrance, fabriquent les vêtements que vous portez probablement.
Ces mêmes vêtements seront ensuite pris en charge par des sous-traitants qu’utilisent les grandes marques de vêtements durant le processus de fabrication. Ces usines – souvent chinoises ou sud-coréennes – s’occupent de l’étiquetage et l’emballage des produits. Au total, seulement un tiers du revenu du prix de vente leur revient, les deux tiers restants étant pour les grandes marques.
Ces vêtements traversent ensuite, par bateau ou par avion, les continents pour ravitailler les différents magasins du monde. Inutile de décrire l’impact environnemental désastreux, les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Selon l’ADEME (l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie), l’industrie textile émettrait chaque année près de 1.2 milliards de tonnes de gaz à effet de serre, soit 2% des émissions globales de gaz à effet de serre en 2015. Pire encore, durant toutes ses étapes de conception et de fabrication, un jean parcourt en moyenne soixante-cinq mille kilomètres avant d’arriver à destination, soit environ une fois et demi le tour de la Terre. Et dire que certains magasins renouvellent vingt-quatre fois leurs rayons par an…
Ces vêtements sont finalement rarement portés et rapidement renouvelés par d’autres. En effet, près de 80% de ces vêtements finissent dans les ordures ménagères et dix mille à vingt mille tonnes de textile sont détruites chaque année en France.
Ce phénomène s’est d’autant plus amplifié de nos jours avec la création de sites de vêtements en ligne permettant d’acheter toujours plus rapidement et à des prix toujours plus attractifs.
Les réseaux sociaux ont également leur part de responsabilités concernant notre manière de consommer. Les influenceurs portant de nouveaux vêtements à chaque post, promouvant des dizaines de marques, offrant des codes promotionnels à tout va etc. poussent, les consommatrices principalement, à acheter de manière frénétique, sans réfléchir à l’impact que ce vêtement pourrait avoir.
Les nombreuses Fashion Week où les marques, de luxe souvent, renouvellent à chaque saison leurs collections, encouragent les consommateurs à renouveler tout aussi fréquemment leur garde-robe pour suivre la tendance et être « à la pointe de la mode ».
La question d’améliorer sa consommation du textile se pose donc. En effet, face à cette augmentation exponentielle de la quantité de vêtements, des solutions dites alternatives sont proposées à l’image du recyclage ou de la seconde main, pour permettre une réduction des émissions et faire un geste pour la planète. De nombreuses grandes marques adoptent également ce modèle en proposant sur leurs sites des vêtements de seconde main, ou encore, des étiquettes sur les vêtements stipulant être « eco friendly » et ainsi, de respecter la planète.
Ces solutions sont-elles réellement efficaces ou s’agit-il uniquement de belles paroles et d’encre gaspillée pour rassurer les âmes sensibles et les consommateurs inquiets ?
Le recyclage, une (fausse) bonne idée ?
Situation courante : vous ne voulez plus de vos vêtements, vous décidez donc de les déposer dans une boîte de recyclage d’une grande marque. Vous vous dites que vous faites un geste pour la planète en le donnant à recycler et cela apaise votre conscience par la même occasion. Cela vous soulage à l’idée d’aller acheter un autre vêtement puisque « dans tous les cas, mon ancien vêtement sera recyclé, je n’ai pas fait de gaspillage ». Schéma plutôt gagnant, non ?
Gagnant pour la grande marque surtout. Car en réalité, votre vêtement aura plus de chance d’être revendu à une entreprise plutôt que d’être recyclé. Et ce marché des vêtement usagés pourrait bientôt dépasser celui de la Fast fashion.
Les vêtements revendus et inutilisés, quant à eux, personne ne sait où ils finissent. Mais les photographies de décharge de vêtements à ciel ouvert prises au Chili par exemple, laissent clairement deviner l’avenir de nos vêtements prétendument « recyclés ».
Ce phénomène a un nom, il s’agit du Greenwashing. Défini par le dictionnaire, le Greenwashing (écoblanchiment en français) est l‘utilisation fallacieuse d’arguments faisant état de bonnes pratiques écologiques, dans des opérations de marketing ou de communication.
Le but du Greenwashing pour une entreprise ? Vous faire croire, à l’aide d’un marketing attrayant et d’arguments plausibles mais fallacieux, que ce que vous faites est écologique et bon pour la planète, dans le but, évidemment, de s’enrichir sur votre dos.
Une méthode que les entreprises adorent utiliser et que nous, bons acheteurs que nous sommes, adorons croire efficace.
En réalité, recycler un vêtement dans son entièreté est rarement possible et extrêmement coûteux. Malheureusement, cette méthode n’est pas aussi développée que l’on voudrait le croire.
Mieux consommer, est-ce possible ?
La solution est-elle donc d’arrêter de se vêtir ?
Pas exactement, non. S’habiller est en réalité une nécessité pour tout être humain.
En islam par exemple, de nombreux hadiths portent sur la manière convenable de s’habiller, sur les différents tissus de vêtements autorisés ou non, ou encore, quelles couleurs et quels vêtements le prophète (paix sur lui) mettait, démontrant ainsi qu’il ne s’agit pas de quelque chose d’interdit, bien au contraire.
Il faut garder à l’esprit que ce n’est pas le vêtement en soi qui pose un problème mais plutôt la manière dont on le consomme.
Dans le Coran à la sourate 7 verset 31, Allah nous dit :
« Ô enfants d’Adam, dans chaque lieu de Salat portez votre parure (vos habits). Et mangez et buvez ; et ne commettez pas d’excès, car Il [Dieu] n’aime pas ceux qui commettent des excès. »
Dans ce verset, Allah nous informe qu’Il n’aime pas ceux qui commettent des excès. Cette partie du verset est généralement reliée à la boisson et la nourriture. On peut également tirer des enseignements de cette partie du verset « ne commettez pas d’excès, car Il [Dieu] n’aime pas ceux qui commettent des excès » sur l’ensemble de notre vie.
Dans son tafsir, Ibn Kathir souligne que l’interdiction des excès s’applique également à l’habillement. Il illustre ce principe en citant ce hadith :
« Mangez, buvez, habillez-vous et faites l’aumône sans ostentation ni extravagance. Dieu aime voir les traces de ses bienfaits sur son serviteur » (rapporté par Ahmed, Nassaï, et Ibn Maja)
Cela implique également notre consommation de vêtements que l’on peut aussi interpréter par « parure » d’après la traduction de ce verset. Là où dans notre « parure » nous nous devons également de ne pas commettre d’excès. Ce verset est d’autant plus parlant lorsqu’on observe le mode de vie du prophète (paix sur lui), à quel point il menait une vie modeste et sans excès.
Ce verset est également en totale résonance avec notre société actuelle. Nous vivons dans une société de consommation où acheter est devenu la norme et où tout nous pousse à acquérir et amasser abondamment . A travers ce verset, Allah nous invite à ne pas commettre d’excès et à adopter un mode de vie moins frénétique, plus responsable.
C’est donc sans excès que nous nous devons de consommer en général. Cela est valable pour les vêtements. Ainsi, acheter des vêtements de temps à autre n’est pas un problème mais l’excès dans l’achat en est un. C’est malheureusement sur cet excès que repose la fabrication des vêtements de grandes marques et l’industrie de la mode de nos jours. C’est à cause de ce même excès que la Fast Fashion pose un problème.
Pour essayer de mieux consommer, je vous propose d’appliquer ces quelques méthodes :
– Privilégier la seconde main directe, d’un vendeur à un acheteur, car un vêtement récupéré est un vêtement neuf en moins d’acheté.
– Acheter dans les petites boutiques ou start-up (musulmanes par exemple), dont les produits sont souvent mieux connus des gérants que ceux des grandes marques. C’est aussi une manière de donner un coup de pouce aux petits commerces face aux géants du textile.
– Éviter les sites en ligne où les prix sont vraiment très bas (très très bas ! Est-il nécessaire d’en dire plus sur les marques concernées ? ) . Un prix bas dans votre panier n’est pas sans conséquence concernant la production de ce vêtement.
– Enfin, le plus important, renseignez-vous ! Un acheteur averti en vaut deux. Renseignez-vous, témoignez de la réalité du commerce de textile, beaucoup de personnes sont ignorantes concernant la fabrication de leurs vêtements. C’est ensemble que nous pouvons faire bouger les choses et créer un mode de consommation plus respectueux et moins effréné.
Ainsi, en achetant un vêtement neuf peu cher, si au lieu de faire une bonne affaire, nous ne devenions pas finalement membre d’une longue chaîne de victimes…
Victimes de l’enrichissement des magasins de vêtements. Victimes de cette surproduction de gaz à effet de serre. Victimes de l’excès dans les vêtements. Victimes, comme ces ouvriers du textile.
SI, finalement, nous n’étions pas des victimes de la mode.
Y.A
Pour aller plus loin :
- Collectif Blackbone – Fashion Victim par Manu Causse, Emmanuelle Urien, Marie Mazas, Maylin Jean-Préau – Edition Nathan (roman thriller)
- Fast Fashion, les dessous de la mode à bas prix – Arte (reportage)
Sources :
France 24 : Cambodge les forçats du textile https://webdoc.france24.com/cambodge/textile/
WE DRESS FAIR : Comprendre l’enjeu des transports dans l’industrie de la mode https://www.wedressfair.fr/blog/comprendre-l-enjeu-des-transports-dans-l-industrie-de-la-mode
SPEAK : Le gaspillage vestimentaire https://www.speak.fr/blog/detail/le-gaspillage-vestimentaire.html
24 Heures : Voici ce que H&M fait réellement de vos vêtements usagés https://www.24heures.ca/2021/12/08/voici-ce-que-hm-fait-reellement-de-vos-vetements-usages
Greenpeace : https://www.greenpeace.fr/comment-opter-pour-une-mode-plus-ethique-et-responsable/
Greenly earth : tout savoir du Greenwashing https://greenly.earth/fr-fr/blog/guide-entreprise/greenwashing-definition-exemple
Islam Web : hadith https://www.islamweb.net/fr/article/169929/Mangez-et-buvez-sans-exc%C3%A8s
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